© Ce blog présente les ouvrages de
Camille Rouschmeyer
parmi ses écrits et ses photographies au jour le jour.





lundi 16 août 2010

Chanson de gestes

"Ma mère était passionnée par son métier ; il n'est pas exagéré de parler de vocation. Elle se couchait toujours très tard pour corriger les devoirs de ses élèves et préparer les leçons du lendemain. Elle s'installait dans la cuisine avec ses cahiers, ses livres et ses stylos. Le lave-vaisselle bruissait. Les bengalis dormaient, la tête sous l'aile. Sur la table, un peu à l'écart, une tisane infusait sous une soucoupe.
Cachée dans le vestibule, je voyais ma mère penchée sur un cahier. Elle barrait un mot, refermait le cahier. Elle rapprochait la tasse, soulevait la soucoupe, retirait le sachet de verveine, le posait sur la soucoupe blanche. Elle prenait la tasse et la portait à hauteur de son visage. Prudemment elle avançait les lèvres en cul de poule sur le bord de la tasse et aspirait un peu de liquide en faisant un léger bruit, un peu sifflant, comme le vent d'une tempête enregistrée sur un magnétophone dont on aurait baissé le son. Elle reposait la tasse à côté de la soucoupe où le sachet trempé gisait au centre d'une petite flaque brune. Elle se penchait à nouveau sur le cahier, de temps en temps barrait un mot ou écrivait avec son stylo rouge. Elle refermait le cahier, en prenait un autre. A la fin il n'y avait plus sur la table qu'une seule pile de cahiers bleus."


Extrait de Pour les enfants

2 commentaires:

  1. Un texte d'une très grande émotion, cette "chanson de gestes" de ta mère...
    Ces moments qui restent à jamais gravés dans notre mémoire, un vrai souvenir d'enfance et d'amour...

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  2. On suit cette scène comme une séquence de cinéma. Tout y est, le décor, le personnage principal tenu par la mère, l'ambiance feutrée, le rituel du thé, et le travail qui se termine, tandis que l'enfant observe en silence tout en vivant pleinement ce petit bonheur d'être là.
    Ce texte est magnifique.

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