© Ce blog présente les ouvrages de
Camille Rouschmeyer
parmi ses écrits et ses photographies au jour le jour.





lundi 29 novembre 2010

l'arc de tes yeux




Extrait de les âmes vertes

mercredi 24 novembre 2010

Lointaine

Rouge passion
pour elle aussi
et les avions
Paris Berlin
San Francisco
elle tourne le dos
mais gentiment
boude le téléphone
sans en avoir l’air
ce n’est pas grave
il y a les mails
coucou ma grande
comment vas-tu ?
très bien maman
je travaille j’écris
je suis heureuse
et toi et petit frère ?
puis elle s’en retourne
comme elle est venue
tendre et distante
dans sa robe lisse
qui la fait ressembler
à une rose rouge




Extrait de Le chat dans l'arbre

samedi 6 novembre 2010

Douleur

"– Un jour mon père est tombé malade. Il avait quatre-vingt-trois ans. Il est mort quelques mois plus tard. Entre-temps jamais je n'ai voulu admettre qu'il était mortellement malade. J'étais persuadée, comme mon frère, qu'il pourrait vivre encore plusieurs années en prenant des médicaments et en se faisant transfuser régulièrement. Il avait un cancer de la moelle osseuse. Le jour où mon père a été hospitalisé pour la première fois, ma mère n’a pas supporté que je l'oublie pour m'intéresser à lui. Elle a affirmé qu'il n'était pas si malade que ça. J'étais révoltée, j'ai eu des mots durs pour elle. Du coup, dès que j'ai eu le dos tourné, elle n'a rien trouvé de mieux à faire que de se fracturer une épaule. J’étais allée voir mon père à l'hôpital où il avait été hospitalisé d'urgence. Nathan et Alban étaient restés avec ma mère à l'appartement. Je bavardais avec mon père, lorsque le téléphone a sonné. C'était Nathan. Ma mère venait de tomber en allant à la cuisine chercher une pomme. Le SAMU était là, elle n'avait pas perdu connaissance, mais elle s'était cassé quelque chose. J'ai expliqué à mon père ce qui s'était passé et je l'ai laissé. Pendant plusieurs semaines, ma mère était soignée dans un hôpital et mon père dans un autre. Ma mère lui téléphonait. Un jour elle lui a annoncé qu'elle allait être opérée et qu'elle risquait de mourir parce qu'elle était allergique à l'anesthésie. Je lui avais demandé de ne pas dire à mon père qu'elle serait peut-être opérée. Elle l'a quand même fait, j'étais avec mon père quand elle lui a téléphoné et comme elle parlait fort j'entendais ce qu'elle était en train de lui dire. Quand mon père a raccroché, il était bouleversé. Ma mère, elle, n'avait pas l'air de s'inquiéter pour lui. Finalement elle n'a pas eu besoin d'être opérée, elle s'est rétablie assez vite et mon père et elle ont pu aller dans le même hôpital pour leur convalescence, à Mortain. Pour mon père, il ne s'agissait pas de convalescence puisqu'il avait un myélome multiple et ne guérirait pas comme ma mère guérirait de sa fracture. Toujours est-il que mon frère et moi avons fait en sorte qu'ils se retrouvent tous les deux dans le même hôpital et dans la même chambre, pour qu’ils soient ensemble. Nous n’étions pas tout à fait sûrs d’avoir eu là une bonne idée, parce que mère avait du mal à supporter mon père malade. Mais mon père voulait absolument être avec ma mère, et mon frère et moi lui donnions l'avantage dans ce jeu de dés pipés. La première  fois que je suis allée voir mes parents à  Mortain – j’habite à plus de 800 km et ça faisait quinze jours que je ne les avais pas vus – j’ai trouvé mon père assis dans le fauteuil à côté de son lit. J’ai eu un choc. Il était d’une maigreur terrifiante. Il ne portait qu’une veste de pyjama et une couche, ses cuisses étaient décharnées. Le pire c'était son regard. Quand il m’a vue, il m’a fait un sourire. J’ai vu que ça lui coûtait, qu’il n’avait pas envie de sourire mais qu’il m’offrait ce sourire parce qu’il était content de me voir même si la vie ne lui semblait plus digne d’être vécue. Je l’ai embrassé. Une infirmière est entrée, c’était l’heure de la toilette. Avant de sortir, je suis allée embrasser ma mère. Elle était couchée dans l’autre lit, juste en face du sien. Elle portait encore une attelle, mais avait l’air plus reposée que la dernière fois où je l’avais vue. La chambre était grande et lumineuse, les infirmières étaient d'une gentillesse infinie, aussi bien avec les malades qu'avec leurs familles. Elles les traitaient avec respect et bonté. ça n'avait pas toujours été le cas du premier hôpital, celui où mon père avait été soigné la première fois, celui où il devrait retourner bientôt, mais à ce moment je ne le savais pas encore. Le séjour de mes parents au service Convalescence de l'hôpital de Mortain a duré presque trois mois et leur a été bénéfique. Mon père a repris du poids, a même pu sortir de la chambre et se promener avec moi dans le couloir où il y avait des choses à regarder, des vitrines avec de jolis objets, un petit salon avec de belles plantes vertes, un grand aquarium éclairé. Il n'avait plus besoin de couches, sauf la nuit. Les infirmières l'aidaient à s'habiller tous les matins. Elles le faisaient beau. Elles le coiffaient, le rasaient. Il les aimait bien et elles prenaient le temps de parler avec lui. Ma mère allait mieux elle aussi. Elle m'a raconté qu'elle avait eu de grosses frayeurs au début de leur séjour parce que mon père essayait d'escalader les barrières de protection pour sortir du lit. Elle ne pouvait pas elle-même quitter son lit, elle se sentait trop faible, elle sonnait l'infirmière. Ma mère me disait qu'elle était contente que mon père ait grossi un peu parce qu'au début il lui rappelait les prisonniers des camps de concentration tellement il était décharné. Je n'aimais pas qu'elle me dise ça. Je l'avais bien vu, ce n'était pas nécessaire de me le dire. Je prenais sur moi pour être gentille avec elle. J'avais bien trop peur qu'elle se fasse mal à nouveau. Mon frère et moi, ainsi que mon mari, étions convaincus qu'elle avait plus ou moins consciemment fait en sorte de tomber, à l'appartement, quand j'étais allée voir mon père à l'hôpital. Nathan avait pourtant été vigilant, mais le temps qu'il aille se raser et se brosser les dents, ma mère avait trouvé le moyen de quitter son canapé pour aller se chercher une pomme dans la cuisine, alors qu'il lui avait bien dit de lui demander si elle avait besoin de quelque chose. Après, ma mère a expliqué qu'elle n'avait pas voulu le déranger. Je lui ai rétorqué qu'elle nous dérangeait bien plus avec son épaule cassée. Mais mon frère et moi nous sommes rendu compte très vite qu'il valait mieux ne rien dire à ma mère. Elle m'agaçait prodigieusement, mais je voyais que mon père allait mieux et c'était cela qui m'importait. Ils ont pu regagner leur appartement, même si j'aurais préféré qu'ils restent à Mortain parce que mon frère et sa famille partaient en vacances, que je ne pouvais pas rester auprès de mes parents et que j'avais peur qu'il arrive quelque chose à mon père quand ils seraient de nouveau dans leur appartement. Mais mon frère m'a dit qu'il tenait absolument à rentrer chez lui, qu'il voulait retrouver ses poissons. L'aquarium de l'hôpital ne contenait que des poissons et des plantes en plastique, même s'il faisait de l'effet. Mes parents avaient un vrai aquarium, avec de vrais poissons, des guppys, et de vraies plantes. Mon père adorait s'occuper de son aquarium. Il disait que quand les poissons le voyaient s'approcher avec la boîte de daphnies, ils se précipitaient à la surface. A l'hôpital il s'inquiétait pour ses poissons. Mon frère passait tous les jours les nourrir, mais mon père avait hâte de les retrouver, et de retrouver aussi son lit, son fauteuil, sa télévision. Il en avait marre de l'hôpital. Mon frère avait raison, il valait mieux que mon père rentre à l'appartement. Au début, ça allait à peu près bien. Je téléphonais tous les jours à mes parents. Puis j'ai senti que ça se dégradait. Ma mère avait l'air angoissée et je réussissais de moins en moins à avoir mon père au téléphone. Je n'ai plus pu tenir, nous sommes partis les voir. Mon père allait mal, ça crevait les yeux. Il avait une flopée de médicaments à prendre, certains étaient énormes et insécables, il mettait un temps fou à les avaler, j'avais peur qu'il s'étrangle avec. Les médicaments étaient rangés dans une boîte. Il devait en prendre trois fois par jour. Des tas de médicaments. Il portait une couche parce qu'il n'arrivait pas toujours assez vite aux WC. Nous avions fait installer une rampe tout le long du couloir pour que mes parents puissent se tenir. Mais mon père ne s'en servait pas. De toute façon, quand il était dans son fauteuil dans le salon, la rampe ne lui était d'aucune utilité puisqu'elle n'était pas sur le trajet. Il marchait tant bien que mal jusqu'aux WC, je le surveillais, il ne voulait pas que je l'aide. Je me tenais prête à bondir pour le rattraper au cas où je l'aurais vu sur le point de tomber. Il était très faible et je lui recommandais de ne pas fermer la porte des toilettes derrière lui. Il ne m'écoutait pas toujours. J'avais peur qu'il tombe derrière la porte et que je ne puisse pas le secourir. Mon frère était encore en vacances. Il téléphonait tous les jours. Mon père me demandait tous les jours « Quand est-ce qu'il rentre, Gilles ? » Plus tard j'ai compris qu'il demandait ça parce qu'il attendait le retour de mon frère pour se laisser aller, pour mourir. Il savait qu'il allait bientôt mourir et il avait peur que son fils ne soit pas là. Il ne se souvenait même plus où il était. Je lui répétais qu'il était en vacances en Italie, qu'il rentrerait bientôt. J'ai été obligée de faire hospitaliser mon père. Il ne voulait pas, mais ma mère ne dormait plus, elle avait peur qu'il meure à l'appartement. Je ne savais plus quoi faire. Il y avait la femme de ménage qui venait une fois par jour. Il y avait la dame qui apportait leurs plateaux repas le midi et le soir. Et il y avait l'infirmière qui venait leur faire leur toilette le matin et le soir. Mais tout le reste de la journée, mon père et ma mère n'avaient que moi, et la nuit ils étaient seuls. Un après-midi, mon père est allé aux WC, puis il est parti se coucher au lieu de regagner son fauteuil dans le salon. Je suis allée le voir. En entrant dans la chambre, j'ai compris qu'il s'était sali. Je l'ai changé. C'était triste, parce qu'il était certainement conscient que sa fille était en train de le torcher comme un bébé. Peut-être se sentait-il humilié. Mais je ne pouvais pas le laisser comme ça. J'ai donc fait sa toilette, je lui ai dit qu'il se sentirait mieux ensuite. J'ai fait sa toilette avec une infinie tendresse, je lui ai mis une couche propre, je l'ai bordé, j'ai aéré la chambre. Il faisait beau dehors. Je me suis assise à son chevet. Il m'a demandé « Il rentre quand, Gilles ? » J'ai répondu « Bientôt. » Il s'est endormi. J'ai refermé la fenêtre et je suis sortie de la chambre. Ma mère était dans le salon. Elle faisait du crochet. Elle m'a dit qu'il fallait que mon père retourne à l'hôpital. Le lendemain, quand je suis arrivée à l'appartement, j'ai croisé l'infirmière sur le palier. Elle m'a dit « J'allais vous téléphoner, votre mère a appelé le médecin, il est encore là. » J'ai dit à l'infirmière « Mon père ne veut pas aller à l'hôpital, mais ma mère ne le supporte plus. » L'infirmière m'a dit « Vous devez d'abord penser à votre père et respecter son choix. » Je suis entrée dans l'appartement. Le médecin m'a tout de suite prise à part. Il m'a dit qu'il fallait que mon père soit hospitalisé d'urgence. Ses dernières prises de sang étaient alarmantes, il ne pouvait plus rester à l'appartement. J'ai dit « D'accord. » Je suis allée parler à mon père. Il n'a pas protesté. Il a même eu l'air soulagé. Je lui ai dit de ne pas s'inquiéter pour ma mère, ni pour Gilles, qu'il était déjà en route. Je lui ai dit de ne pas s'inquiéter pour ses poissons. Je lui ai dit de se laisser soigner, que je l'aimais, que nous l'aimions tous et qu'il fallait qu'il prenne bien ses médicaments, que bientôt il irait mieux et que s'il voulait revenir à l'appartement, il fallait qu'il fasse un effort et qu'il prenne ses médicaments. Cela faisait plusieurs jours que je le menaçais de l'hôpital. Je n'avais rien trouvé d'autre pour lui faire prendre ses médicaments. C'était la seule phrase efficace, mais au bout du compte c’était un mensonge, puisqu'il a eu beau prendre ses médicaments, il s'est quand même retrouvé à l'hôpital."
 
 
Extrait de épidermie

vendredi 5 novembre 2010

Un regret

"Comme j'aurais aimé que ma mère me serre très fort dans ses bras ! Les baisers légers que je posais sur ses joues pour lui dire bonjour ou au revoir ressemblaient à ceux que je donnais aux amis. Elle ignorait que dans ces baisers de plume je mettais tout le regret d'étreintes plus fortes, d'un amour plus chaleureux. Je goûtais la douceur de sa jolie peau rose et un peu fanée et je la trouvais belle.
Pourquoi ne m'avait-elle pas prise dans ses bras quand j'avais l'âge de m'en faire un souvenir ?
J'avais une maman visage, une maman un peu voûtée, un peu tassée, fatiguée, une vieille maman finement ridée. J'étais sûre qu'elle riait beaucoup quand elle était jeune et j'aurais aimé, petite fille, me blottir contre elle pendant qu’elle épluchait des légumes ou corrigeait des cahiers, et dans la cuisine son rire aurait tinté plus fort et plus joliment que tous les autres bruits familiers."




Extrait de Pour les enfants