© Ce blog présente les ouvrages de
Camille Rouschmeyer
parmi ses écrits et ses photographies au jour le jour.





jeudi 10 février 2011

l'ère préhistorique

"Quand j'ai fait la connaissance de Nathan et que j'ai décidé de quitter mon foyer pour aller vivre avec lui, j'ai foncé droit devant moi, en bon Bélier que je suis, sans me poser de questions, sans douter, sans hésiter. Je n'étais plus déprimée. J'avais confiance en moi. Tout me semblait neuf, éclatant, je renaissais. Pas pour longtemps. Nathan se montrait peu à peu sous son vrai jour et je faisais de même. Chacun de nous comptait sur l'autre pour lécher ses plaies, mais elles ne guérissaient pas. Au contraire, elles s'envenimaient. Je sombrais à nouveau dans la déprime et lui dans une colère permanente contre le monde entier. Jusqu'à ce que chacun de nous se mette à lécher ses propres plaies. C'était l'éclaircie. Je pensais que nous étions tirés d'affaire. Loin s'en fallait. Nathan est l'homme que j'aime, n'empêche qu'en termes de partage des tâches il est resté coincé à l’ère préhistorique. A moi toutes les corvées ménagères en plus de mon boulot. Je ne m'en plaignais pas, j'aimais ça, même, le servir comme une gentille épouse dévouée. Jusqu'à ce que je regarde en face la hache de guerre qu'il avait déterrée sans que je m'en aperçoive. Alors j'ai réagi. J'ai commencé à tenir des discours féministes. Il n'y avait rien de tel pour le mettre en rogne. Il me le faisait payer cher : il ne me parlait plus. "



Extrait de épidermie

lundi 7 février 2011

une petite fille froide

"Dès l'instant où l'on met un enfant au monde, il est concerné par les vies qui ont abouti à sa vie à lui. C'est pour ça que je demande à ma mère de me raconter sa vie. Mon père est mort, je n'ai pas pensé à lui demander de me raconter sa vie. Il est trop tard maintenant. Il me reste ma mère, il n'y a qu'elle qui peut me dire d'où me viennent mes idées noires. Peut-être ne me fournira-t-elle aucune réponse, mais au moins j'aurai parlé avec elle, ou plutôt j'aurai fait en sorte qu'elle me parle. Parce que je ne lui pose pas de vraies questions elle me dira la vérité et je pourrai la croire. Je me suis rendu compte que j'aime ma mère. Je veux l'aimer. Je ne veux pas qu'elle meure en me laissant indifférente et froide. Il y a quelques années, j'ai reproché à ma mère de n'avoir jamais été démonstrative avec moi, de ne m'avoir jamais serrée dans ses bras. Elle m'a rétorqué que c'était moi qui étais froide, que quand j'étais petite, déjà à trois ou quatre ans, je refusais ses câlins, je la repoussais. Je n'en revenais pas qu'elle me dise ça. Elle me renvoyait mon reproche en pleine figure, comme un boomerang. Elle n'avait pas le droit, comment peut-on reprocher à sa fille d'avoir été une petite fille froide ? Maintenant je repense à ça. C’est vrai qu’il y a en moi quelque chose de froid, je le ressens. Ma mère a peut-être raison. Peut-être est-ce ma faute si elle n'a pas pu se montrer plus câline avec moi. Ou peut-être n'avions-nous pas des signes compatibles, peut-être n'étions-nous pas compatibles, tout simplement. De façon générale, on suppose toujours qu'une mère aime ses enfants et que cet amour est plus fort que tout. On suppose que l'amour maternel monte aux mères en même temps que le lait, mais que contrairement au lait il ne tarit jamais. On suppose qu'une mère est un être sans failles, que tout lui tombe du ciel au bon moment, tout simplement parce que le bébé a grandi en elle pendant neuf mois. Alors quand il arrive, elle l'aime forcément, plus que tout, et ça ne lui coûte pas parce qu'elle ne peut pas faire autrement, parce que c'est programmé. Pour moi c'était comme ça. J'étais mère et tout était parfait, jusqu'au jour où mon bébé n'a pas bu son biberon jusqu'au bout. A partir de là, les choses ont commencé à se détraquer. J'ai commencé à avoir peur. J'ai eu peur que Johanna ne mange plus du tout et qu'elle dépérisse, j'ai eu peur de ne pas être à la hauteur. A partir de ce jour je me suis sentie mère en perdition, avec en moi l'idéal de la mère parfaite, qui se bagarrait avec la femme jeune et insouciante à laquelle la mère parfaite voulait faire la peau. Et ça n'a jamais cessé. "



Extrait de épidermie