lundi 18 mars 2013
mardi 12 mars 2013
Poulet-Fromage
La physionomie
de Poulet-Fromage n’a rien de bien remarquable, si ce n’est son sourire. Comme
dessiné à la craie sur son visage rond, il vous incite à lui sourire en retour
même si vous n’en ressentez pas la moindre envie. Tous les mercredis que dieu
fait, ou presque, Poulet-Fromage vient acheter son menu. Au début il demandait toujours un
sandwich poulet-fromage, sans cornichons si possible. Ce n’était pas possible,
bien entendu, puisque tous les sandwichs baguettes contiennent des cornichons,
tous sans exception. A moins que l’on commande son sandwich en spécifiant bien
« sans cornichons ». Mais Poulet-Fromage n’a jamais pris la peine de commander son sandwich, si bien qu’il a toujours reçu des mains de la
boulangère le sandwich classique cornichonné selon l’humeur de la préposée au
labo. Si c’était Julie, il pouvait s’estimer heureux, celle-ci avait une
tendance certaine à la radinerie et ne dépassait jamais deux lamelles. Mais
comme elle ne mettait pas plus de quatre morceaux de poulet, finalement il ne
devait pas y trouver son compte : il pouvait ôter le surplus de
cornichons, mais comment rajouter des morceaux de poulet ? Donc, à bien y
réfléchir, c’est peut-être pour cela que s’il apercevait Julie au fond de la
boutique, il semblait hésiter et parfois repartait seulement avec une baguette.
Pas trop cuite, spécifiait-il alors, son sourire s’élargissant à mesure que
s’étalait sur ses joues pleines une roseur dont il rougirait certainement
longtemps après avoir quitté la boulangerie. Car Poulet-Fromage est un grand
timide, même s’il tente de donner le change.
De retour chez
lui, il pose la baguette sur la table de la cuisine, se débarrasse de son
manteau, qu’il accroche à la patère derrière la porte d’entrée, se baisse pour
délacer ses chaussures, se redresse et les fait glisser ensemble sous le banc
adossé au mur du couloir. Il est très fier de ce geste, qui lui a demandé de
nombreuses heures d’entraînement : essayez donc de faire glisser une paire
de chaussures sur une distance de trente centimètres sans que l’une des deux
reste en rade. Mais après avoir longtemps pratiqué, il a trouvé la bonne
méthode : le pied droit tourné vers l’extérieur, sa pointe légèrement
relevée, juste ce qu’il faut, il enveloppe les deux chaussures dans le creux de
son pied, qu’il a suffisamment grand pour cela, et les pousse délicatement
jusqu’à ce qu’elles aient atteint leur port d’attache, sous le banc. L’instant
critique est celui de l’impulsion, celui où sa plante de pied vient épouser les
deux talons en les resserrant l’un contre l’autre et simultanément amorce leur
déplacement. La simultanéité de ces deux gestes est essentielle : s’il
n’entame pas leur glissade au moment même où il n’a pas complètement achevé
leur rassemblement, les deux chaussures se séparent, mais s’il les pousse avant
que les talons soient sur le point de se toucher, le résultat est identique. Ce
geste demande une patience, une lenteur et une précision d’exécution qui lui
donnent un sentiment de puissance que rien d’autre ne lui procure.
mardi 5 mars 2013
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